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XIII
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.

N’entra-t-il pas encore un autre élément dans sa douleur ? Ne s’y mêla-t-il pas aussi comme une révolte qui procédait de son mysticisme foncier et correspondit à un drame intime d’autant plus cruel qu’il se déroulait en lui obscurément ? Je ne puis me défendre de rapprocher ce féminin dulce balneum suavibus unguentatum odoribus qu’il a chanté si délicieusement, et dont le goût précoce fait, nous dit-il, les génies supérieurs, de l’anecdote qui nous le représente jetant par la fenêtre, le soir des noces maternelles, la clef de la chambre conjugale. Ce trait appartient à la légende évidemment, mais c’est lui-même qui l'a inventé, un jour où l’amertume remontait de son cœur à ses lèvres en propos cyniques, — on n’en saurait douter, sa marque de fabrique y est — et il pourrait bien avoir traduit par là, à quelques années de date, un bouleversement qui n’était pas d’ordre exclusivement sentimental. Les enfants les plus ignorants des réalités de la chair, ceux surtout qui sont élevés dans des pratiques quotidiennes du catholicisme — comme c’était son cas, — ont de ces anticipations. Le culte de la Vierge notamment les porte à parer d’une immarcescible pureté les femmes de leur entourage. Quelque révélation vient-elle à précipiter l'idole de son piédestal, alors c’est dans leur petit cœur un désarroi immense dont parfois leur sensibilité reste pour toujours désaccordée et déflorée. Il est constant que le remariage maternel fit à cette nature exceptionnelle une blessure dont elle ne guérit jamais.

On peut croire aussi qu’avec son intuition précoce, il avait deviné chez M. Aupick un caractère dont le sien ne s’accommoderait point. M. Aupick n’était rien moins qu’un méchant homme, et il n’y a aucune raison de supposer qu’il ne fit pas de son mieux pour gagner la tendresse de son beau-fils. Certaines lettres de celui-ci, datant des environs de sa quinzième année, donnent même à penser