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le taxer d’égoïsme et même d’avarice. Observez, monsieur, que ce reproche est toujours adressé par l’innombrable classe des âmes banales à celles qui s’appliquent à placer leur générosité aussi bien que leur amitié.

Delacroix était fort économe ; c’était pour lui le seul moyen d’être, à l’occasion, fort généreux : je pourrais le prouver par quelques exemples, mais je craindrais de le faire sans y avoir été autorisé par lui, non plus que par ceux qui ont eu à se louer de lui.

Observez aussi que pendant de nombreuses années ses peintures se sont vendues fort mal, et que ses travaux de décoration absorbaient presque la totalité de son salaire, quand il n’y mettait pas de sa bourse. Il a prouvé un grand nombre de fois son mépris de l’argent, quand des artistes pauvres laissaient voir le désir de posséder quelqu’une de ses œuvres. Alors, semblable aux médecins d’un esprit libéral et généreux, qui tantôt font payer leurs soins et tantôt les donnent, il donnait ses tableaux ou les cédait à n’importe quel prix.

Enfin, monsieur, notons bien que l’homme supérieur est obligé, plus que tout autre, de veiller à sa défense personnelle. On peut dire que toute la société est en guerre contre lui. Nous avons pu vérifier le cas plus d’une fois. Sa politesse, on l’appelle froideur ; son ironie, si mitigée qu’elle soit, méchanceté ; son économie, avarice. Mais si, au contraire, le malheureux se montre imprévoyant, bien loin de le plaindre, la so-