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de l’autre. Ceux-ci font de lointains voyages au coin d’un foyer dont ils méconnaissent la douceur ; et ceux-là, ingrats envers les aventures dont la Providence leur fait don, caressent le rêve d’une vie casanière, enfermée dans un espace de quelques mètres. L’intention laissée en route, le rêve oublié dans une auberge, le projet barré par l’obstacle, le malheur et l’infirmité jaillissant du succès comme les plantes vénéneuses d’une terre grasse et négligée, le regret mêlé d’ironie, le regard jeté en arrière comme celui d’un vagabond qui se recueille un instant, l’incessant mécanisme de la vie terrestre, taquinant et déchirant à chaque minute l’étoffe de la vie idéale : tels sont les principaux éléments de ce livre exquis qui, par son abandon, son négligé de bonne compagnie et sa sincérité suggestive, participe du monologue et de la lettre intime confiée à la boîte pour les contrées lointaines.

La plupart des morceaux qui en composent le total sont des échantillons du malheur humain mis en regard des bonheurs de la rêverie.

Ainsi le Cabaret des Sabliers, où deux jeunes gens vont régulièrement à quelques lieues de la ville pour se consoler des chagrins et des soucis qui la leur rendent intolérable, oubliant sur le paysage horizontal des rivières la vie tumultueuse des rues et l’angoisse confinée dans un domicile dévasté ; ainsi l’Auberge, un voyageur, un lettré, inspirant à son hôtesse une sympathie assez vive pour que celle-ci lui offre sa fille en mariage, et puis retournant brusquement vers le cercle