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saint Antoine enfin, harassé par toutes les folies qui nous circonviennent, aurait apologisé mieux que sa toute petite fiction bourgeoise. — Dans cet ouvrage, dont malheureusement l’auteur ne nous a livré que des fragments, il y a des morceaux éblouissants ; je ne parle pas seulement du festin prodigieux de Nabuchodonosor, de la merveilleuse apparition de cette petite folle de reine de Saba, miniature dansant sur la rétine d’un ascète, de la charlatanesque et emphatique mise en scène d’Apollonius de Tyane suivi de son cornac, ou plutôt de son entreteneur, le millionnaire imbécile qu’il entraîne à travers le monde ; — je voudrais surtout attirer l’attention du lecteur sur cette faculté souffrante, souterraine et révoltée, qui traverse toute l’œuvre, ce filon ténébreux qui illumine, — ce que les Anglais appellent le subcurrent, — et qui sert de guide à travers ce capharnaüm pandémoniaque de la solitude.

Il m’eût été facile de montrer, comme je l’ai déjà dit, que M. Gustave Flaubert a volontairement voilé dans Madame Bovary les hautes facultés lyriques et ironiques manifestées sans réserve dans la Tentation, et que cette dernière œuvre, chambre secrète de son esprit, reste évidemment la plus intéressante pour les poëtes et les philosophes.

Peut-être aurai-je un autre jour le plaisir d’accomplir cette besogne.