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d’expliquer la fable et de diriger l’intelligence du lecteur ? En d’autres termes, où est le réquisitoire ?

Absurdité ! Éternelle et incorrigible confusion des fonctions et des genres ! — Une véritable œuvre d’art n’a pas besoin de réquisitoire. La logique de l’œuvre suffit à toutes les postulations de la morale, et c’est au lecteur à tirer les conclusions de la conclusion.

Quant au personnage intime, profond, de la fable, incontestablement c’est la femme adultère ; elle seule, la victime déshonorée, possède toutes les grâces du héros. — Je disais tout à l’heure qu’elle était presque mâle, et que l’auteur l’avait ornée (inconsciencieusement peut-être) de toutes les qualités viriles.

Qu’on examine attentivement :

1o L’imagination, faculté suprême et tyrannique, substituée au cœur, ou à ce qu’on appelle le cœur, d’où le raisonnement est d’ordinaire exclu, et qui domine généralement dans la femme comme dans l’animal ;

2o Énergie soudaine d’action, rapidité de décision, fusion mystique du raisonnement et de la passion, qui caractérise les hommes créés pour agir ;

3o Goût immodéré de la séduction, de la domination et même de tous les moyens vulgaires de séduction, descendant jusqu’au charlatanisme du costume, des parfums et de la pommade, — le tout se résumant en deux mots : dandysme, amour exclusif de la domination.

Et pourtant madame Bovary se donne ; emportée par