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Il n’est pas nécessaire, je présume, de raconter et d’expliquer toutes les beautés tendres, navrantes, que Victor Hugo a répandues sur le personnage de Fantine, la grisette déchue, la femme moderne, placée entre la fatalité du travail improductif et la fatalité de la prostitution légale. Nous savons de vieille date s’il est habile à exprimer le cri de la passion dans l’abîme, les gémissements et les pleurs furieux de la lionne-mère privée de ses petits ! Ici, par une liaison toute naturelle, nous sommes amenés à reconnaître une fois de plus avec quelle sûreté et aussi quelle légèreté de main ce peintre robuste, ce créateur de colosses, colore les joues de l’enfance, en allume les yeux, en décrit le geste pétulant et naïf. On dirait Michel-Ange se complaisant à rivaliser avec Lawrence ou Velasquez.


IV


Les Misérables sont donc un livre de charité, un étourdissant rappel à l’ordre d’une société trop amoureuse d’elle-même et trop peu soucieuse de l’immortelle loi de fraternité ; un plaidoyer pour les misérables (ceux qui souffrent de la misère et que la misère déshonore), proféré par la bouche la plus éloquente de ce temps. Malgré tout ce qu’il peut y avoir de tricherie volontaire ou d’inconsciente partialité dans la manière dont, aux yeux de la stricte philosophie, les termes du