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l’égard du torero, du comédien et de tous ceux qui, faisant de leur personne une glorieuse pâture publique, soulèvent l’enthousiasme du cirque et du théâtre.

Gustave Levavasseur a toujours aimé passionnément les tours de force. Une difficulté a pour lui toutes les séductions d’un nymphe. L’obstacle le ravit ; la pointe et le jeu de mots l’enivrent ; il n’y a pas de musique qui lui soit plus agréable que celle de la rime triplée, quadruplée, multipliée. Il est naïvement compliqué. Je n’ai jamais vu d’homme si pompeusement et si franchement Normand. Aussi Pierre Corneille, Brébeuf, Cyrano, lui inspirent plus de respect et de tendresse qu’à tout autre qui serait moins amateur du subtil, du contourné, de la pointe faisant résumé et éclatant comme une fleur pyrotechnique. Qu’on se figure, unies à ce goût candidement bizarre, une rare distinction de cœur et d’esprit et une instruction aussi solide qu’étendue, on pourra peut-être attraper la ressemblance de ce poëte qui a passé parmi nous, et qui, depuis longtemps réfugié dans son pays, apporte sans aucun doute dans ses nouvelles et graves fonctions le même zèle ardent et minutieux qu’il mettait jadis à élaborer ses brillantes strophes, d’une sonorité et d’un reflet si métalliques. Vire et les Virois sont un petit chef-d’œuvre et le plus parfait échantillon de cet esprit précieux, rappelant les ruses compliquées de l’escrime, mais n’excluant pas, comme aucuns le pourraient croire, la rêverie et le balancement de la mélodie. Car, il faut le répéter, Levavasseur est une intelligence