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d’intensité, qui sert de préface à Madame Putiphar, avait pu aussi en maint endroit montrer tant de maladresse, butter dans tant de heurts et de cahots, tomber au fond de tant de guignons. Je n’ai pas d’explication positive à donner ; je ne puis indiquer que des symptômes, symptômes d’une nature morbide, amoureuse de la contradiction pour la contradiction, et toujours prête à remonter tous les courants, sans en calculer la force, non plus que sa force propre. Tous les hommes, ou presque tous, penchent leur écriture vers la droite ; Pétrus Borel couchait absolument la sienne à gauche, si bien que tous les caractères, d’une physionomie fort soignée d’ailleurs, ressemblaient à des files de fantassins renversés par la mitraille. De plus, il avait le travail si douloureux, que la moindre lettre, la plus banale, une invitation, un envoi d’argent, lui coûtait deux ou trois heures d’une méditation excédante, sans compter les ratures et les repentirs. Enfin, la bizarre orthographe qui se pavane dans Madame Putiphar, comme un soigneux outrage fait aux habitudes de l’œil public, est un trait qui complète cette physionomie grimaçante. Ce n’est certes pas une orthographe mondaine dans le sens des cuisinières de Voltaire et du sieur Erdan, mais, au contraire, une orthographe plus que pittoresque et profitant de toute occasion pour rappeler fastueusement l’étymologie. Je ne peux me figurer, sans une sympathique douleur, toutes les fatigantes batailles que, pour réaliser son rêve typographique, l’auteur a dû livrer aux compositeurs chargés