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gue, vigoureuse et pittoresque, a presque le charme du latin. Elle jette des lueurs sublimes. Ses premières compositions sont restées dans toutes les mémoires. Sa gloire est des plus méritées. Tout cela est incontestable.

Mais l’origine de cette gloire n’est pas pure ; car elle est née de l’occasion. La poésie se suffit à elle-même. Elle est éternelle et ne doit jamais avoir besoin d’un secours extérieur. Or, une partie de la gloire d’Auguste Barbier lui vient des circonstances au milieu desquelles il jeta ses premières poésies. Ce qui les fait admirables, c’est le mouvement lyrique qui les anime, et non pas, comme il le croit sans doute, les pensées honnêtes qu’elles sont chargées d’exprimer. Facit indignatio versum, nous dit un poëte antique, qui, si grand qu’il soit, était intéressé à le dire ; cela est vrai ; mais il est bien certain aussi que le vers fait par simple amour du vers a, pour être beau, quelques chances de plus que le vers fait par indignation. Le monde est plein de gens très-indignés qui cependant ne feront jamais de beaux vers. Ainsi, nous constatons dès le commencement que, si Auguste Barbier a été grand poëte, c’est parce qu’il possédait les facultés ou une partie des facultés qui font le grand poëte, et non parce qu’il exprimait la pensée indignée des honnêtes gens.

Il y a en effet dans l’erreur publique une confusion très-facile à débrouiller. Tel poëme est beau et honnête ; mais il n’est pas beau parce qu’il est honnête.