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à vivre entre quatre murs nus avec des chaises de paille ; qu’un curé de Saint-Roch (je ne me rappelle plus lequel) envoie, au grand scandale des prélats amoureux du comfort, tout son mobilier à l’hôtel des ventes, c’est bien, c’est beau et grand. Mais si je vois un homme de lettres, non opprimé par la misère, négliger ce qui fait la joie des yeux et l’amusement de l’imagination, je suis tenté de croire que c’est un homme de lettres fort incomplet, pour ne pas dire pis.

Quand aujourd’hui nous parcourons les poésies récentes de Victor Hugo, nous voyons que tel il était, tel il est resté, un promeneur pensif, un homme solitaire mais enthousiaste de la vie, un esprit rêveur et interrogateur. Mais ce n’est plus dans les environs boisés et fleuris de la grande ville, sur les quais accidentés de la Seine, dans les promenades fourmillantes d’enfants, qu’il fait errer ses pieds et ses yeux. Comme Démosthènes, il converse avec les flots et le vent ; autrefois, il rôdait solitaire dans des lieux bouillonnant de vie humaine ; aujourd’hui il marche dans des solitudes peuplées par sa pensée. Ainsi est-il peut-être encore plus grand et plus singulier. Les couleurs de ses rêveries se sont teintées en solennité, et sa voix s’est approfondie en rivalisant avec celle de l’Océan. Mais là-bas comme ici, toujours il nous apparaît comme la statue de la Méditation qui marche.