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théistiques, — de Cattermole, cet aquarelliste peintre d’histoire, — et de cet autre dont le nom m’échappe (Cockerell ou Kendall ?), un architecte songeur qui bâtit sur le papier des villes dont les ponts ont des éléphants pour piliers et laissent passer entre leurs jambes, toutes voiles dehors, des trois-mâts gigantesques ? Qui sut immédiatement britanniser son génie ? Qui trouva des mots propres à peindre ces fraîcheurs enchanteresses et ces profondeurs fuyantes de l’aquarelle anglaise ? Partout où il y a un produit artistique à décrire et à expliquer, Gautier est présent et toujours prêt.

Je suis convaincu que c’est grâce à ses feuilletons innombrables et à ses excellents récits de voyages, que tous les jeunes gens (ceux qui avaient le goût inné du beau) ont acquis l’éducation complémentaire qui leur manquait. Théophile Gautier leur a donné l’amour de la peinture, comme Victor Hugo leur avait conseillé le goût de l’archéologie. Ce travail permanent, continué avec tant de patience, était plus dur et plus méritant qu’il ne semble tout d’abord ; car souvenons-nous que la France, le public français, veux-je dire (si nous en exceptons quelques artistes et quelques écrivains), n’est pas artiste, naturellement artiste ; ce public-là est philosophe, moraliste, ingénieur, amateur de récits et d’anecdotes, tout ce qu’on voudra, mais jamais spontanément artiste. Il sent ou plutôt il juge successivement, analytiquement. D’autres peuples, plus favorisés, sentent tout de suite, tout à la fois, synthétiquement.