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mieux su que lui exprimer le bonheur que donne à l’imagination la vue d’un bel objet d’art, fût-il le plus désolé et le plus terrible qu’on puisse supposer. C’est un des priviléges prodigieux de l’Art que l’horrible, artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rhythmée et cadencée remplisse l’esprit d’une joie calme. Comme critique, Théophile Gautier a connu, aimé, expliqué, dans ses Salons et dans ses admirables récits de voyages, le beau asiatique, le beau grec, le beau romain, le beau espagnol, le beau flamand, le beau hollandais et le beau anglais. Lorsque les œuvres de tous les artistes de l’Europe se rassemblèrent solennellement à l’avenue Montaigne, comme en une espèce de concile esthétique, qui donc parla le premier et qui parla le mieux de cette école anglaise, que les plus instruits parmi le public ne pouvaient guère juger que d’après quelques souvenirs de Reynolds et de Lawrence ? Qui saisit tout de suite les mérites variés, essentiellement neufs, de Leslie, — des deux Hunt, l’un le naturaliste, l’autre le chef du préraphaélitisme, — de Maclise, l’audacieux compositeur, fougueux et sûr de lui-même, — de Millais, ce poëte minutieux, — de J. Chalon, le peintre des fêtes d’après-midi dans les parcs, galant comme Watteau, rêveur comme Claude, — de Grant, cet héritier de Reynolds, — de Hook, le peintre aux rêves vénitiens, — de Landseer, dont les bêtes ont des yeux pleins de pensée, — de cet étrange Paton qui fait rêver à Fuseli et qui brode avec une patience d’un autre âge des conceptions pan-