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l’ivresse du cœur[1], et de la vérité, qui est la pâture de la raison. Car la passion est chose naturelle, trop naturelle même, pour ne pas introduire un ton blessant, discordant, dans le domaine de la Beauté pure ; trop familière et trop violente pour ne pas scandaliser les purs Désirs, les gracieuses Mélancolies et les nobles Désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la Poésie. »

Et ailleurs je disais : « Dans un pays où l’idée d’utilité, la plus hostile du monde à l’idée de beauté, prime et domine toutes choses, le parfait critique sera le plus honorable, c’est-à-dire celui dont les tendances et les désirs se rapprocheront le plus des tendances et des désirs de son public, — celui qui, confondant les facultés et les genres de production, assignera à tous un but unique, — celui qui cherchera dans un livre de poésie les moyens de perfectionner la conscience. »

Depuis quelques années, en effet, une grande fureur d’honnêteté s’est emparée du théâtre, de la poésie, du roman et de la critique. Je laisse de côté la question de savoir quels bénéfices l’hypocrisie peut trouver dans cette confusion de fonctions, quelles consolations en peut tirer l’impuissance littéraire. Je me contente de noter et d’analyser l’erreur, la supposant désintéressée.

  1. L’imitation de la passion, avec la recherche du Vrai et un peu celle du Beau (non pas du bien), constitue l’amalgame dramatique ; mais aussi c’est la passion qui recule le drame à un rang secondaire dans la hiérarchie du Beau. Si j’ai négligé la question de la noblesse plus ou moins grande des facultés, ç’a été pour n’être pas entraîné trop loin ; mais la supposition qu’elles sont toutes égales ne nuit en rien à la théorie générale que j’essaye d’esquisser.