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oubliées. Des hérésies étranges se sont glissées dans la critique littéraire. Je ne sais quelle lourde nuée, venue de Genève, de Boston ou de l’enfer, a intercepté les beaux rayons du soleil de l’esthétique. La fameuse doctrine de l’indissolubilité du Beau, du Vrai et du Bien est une invention de la philosophaillerie moderne (étrange contagion, qui fait qu’en définissant la folie on en parle le jargon !). Les différents objets de la recherche spirituelle réclament des facultés qui leur sont éternellement appropriées ; quelquefois tel objet n’en réclame qu’une, quelquefois toutes ensemble, ce qui ne peut être que fort rare, et encore jamais à une dose ou à un degré égal. Encore faut-il remarquer que plus un objet réclame de facultés, moins il est noble et pur, plus il est complexe, plus il contient de bâtardise. Le Vrai sert de base et de but aux sciences ; il invoque surtout l’intellect pur. La pureté de style sera ici la bienvenue, mais la beauté de style peut y être considérée comme un élément de luxe. Le Bien est la base et le but des recherches morales. Le Beau est l’unique ambition, le but exclusif du Goût. Bien que le Vrai soit le but de l’histoire, il y a une Muse de l’histoire, pour exprimer que quelques-unes des qualités nécessaires à l’historien relèvent de la Muse. Le Roman est un de ces genres complexes où une part plus ou moins grande peut être faite tantôt au Vrai, tantôt au Beau. La part du Beau dans Mademoiselle de Maupin était excessive. L’auteur avait le droit de la faire telle. La visée de ce roman n’était pas d’exprimer les mœurs, non plus que