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enfants la croyance que ce qui constituait une défaite ou une victoire à la guerre, c’était le plus ou moins grand nombre de morts. Plus tard, mêlés à la vie universelle, obligés eux-mêmes de battre pour n’être pas battus, ils sauront qu’une victoire est souvent incertaine, et qu’elle n’est une vraie victoire que si elle est pour ainsi dire le sommet d’un plan incliné, où l’armée glissera désormais avec une vitesse miraculeuse, ou bien le premier terme d’une progression infiniment croissante.

Cette facilité à contenter son imagination témoigne de la spiritualité de l’enfance dans ses conceptions artistiques. Le joujou est la première initiation de l’enfant à l’art, ou plutôt c’en est pour lui la première réalisation, et, l’âge mûr venu, les réalisations perfectionnées ne donneront pas à son esprit les mêmes chaleurs, ni les mêmes enthousiasmes, ni la même croyance.

Et même, analysez cet immense mundus enfantin, considérez le joujou barbare, le joujou primitif, où pour le fabricant le problème consistait à construire une image aussi approximative que possible avec des éléments aussi simples, aussi peu coûteux que possible : par exemple, le polichinelle plat, mû par un seul fil ; les forgerons qui battent l’enclume ; le cheval et son cavalier en trois morceaux, quatre chevilles pour les jambes, la queue du cheval formant un sifflet et quelquefois le cavalier portant une petite plume, ce qui est un grand luxe ; — c’est le joujou à cinq sous, à deux