Page:Baudelaire - Curiosités esthétiques 1868.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’intéresse à Harlequin : c’est l’éternelle protectrice des mortels amoureux et pauvres. Elle lui promet sa protection, et, pour lui en donner une preuve immédiate, elle promène avec un geste mystérieux et plein d’autorité sa baguette dans les airs.

Aussitôt le vertige est entré, le vertige circule dans l’air ; on respire le vertige ; c’est le vertige qui remplit les poumons et renouvelle le sang dans le ventricule.

Qu’est-ce que ce vertige ? C’est le comique absolu ; il s’est emparé de chaque être. Léandre, Pierrot, Cassandre, font des gestes extraordinaires, qui démontrent clairement qu’ils se sentent introduits de force dans une existence nouvelle. Ils n’en ont pas l’air fâché. Ils s’exercent aux grands désastres et à la destinée tumultueuse qui les attend, comme quelqu’un qui crache dans ses mains et les frotte l’une contre l’autre avant de faire une action d’éclat. Ils font le moulinet avec leurs bras, ils ressemblent à des moulins à vent tourmentés par la tempête. C’est sans doute pour assouplir leurs jointures, ils en auront besoin. Tout cela s’opère avec de gros éclats de rire, pleins d’un vaste contentement ; puis ils sautent les uns par-dessus les autres, et leur agilité et leur aptitude étant bien dûment constatées, suit un éblouissant bouquet de coups de pied, de coups de poing et de soufflets qui font le tapage et la lumière d’une artillerie ; mais tout cela est sans rancune. Tous leurs gestes, tous leurs cris, toutes leurs mines disent : La fée l’a voulu, la destinée nous précipite, je ne m’en afflige pas ; allons ! courons !