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trait à l’imagination de M. Penguilly, qui est excessivement pittoresque et variée. Ce penseur a voulu dire qu’il n’aimait pas un peintre qui traitait tous les sujets avec le même style. Parbleu ! c’est le sien ! Vous voulez donc qu’il en change ?

Je ne veux pas quitter cet aimable artiste, dont tous les tableaux, cette année, sont également intéressants, sans vous faire remarquer plus particulièrement les Petites Mouettes : l’azur intense du ciel et de l’eau, deux quartiers de roche qui font une porte ouverte sur l’infini (vous savez que l’infini paraît plus profond quand il est plus resserré), une nuée, une multitude, une avalanche, une plaie d’oiseaux blancs, et la solitude ! Considérez cela, mon cher ami, et dites-moi ensuite si vous croyez que M. Penguilly soit dénué d’esprit poétique.

Avant de terminer ce chapitre j’attirerai aussi vos yeux sur le tableau de M. Leighton, le seul artiste anglais, je présume, qui ait été exact au rendez-vous : Le comte Pâris se rend à la maison des Capulets pour chercher sa fiancée Juliette, et la trouve inanimée. Peinture riche et minutieuse, avec des tons violents et un fini précieux, ouvrage plein d’opiniâtreté, mais dramatique, emphatique même ; car nos amis d’outre-Manche ne représentent pas les sujets tirés du théâtre comme des scènes vraies, mais comme des scènes jouées avec l’exagération nécessaire, et ce défaut, si c’en est un, prête à ces ouvrages je ne sais quelle beauté étrange et paradoxale.