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(non, ce mot est trop beau), pratique exclusive du métier, telles sont, je crois, quant à l’artiste, les raisons principales de son abaissement. Plus on possède d’imagination, mieux il faut posséder le métier pour accompagner celle-ci dans ses aventures et surmonter les difficultés qu’elle recherche avidement. Et mieux on possède son métier, moins il faut s’en prévaloir et le montrer, pour laisser l’imagination briller de tout son éclat. Voilà ce que dit la sagesse ; et la sagesse dit encore : Celui qui ne possède que de l’habileté est une bête, et l’imagination qui veut s’en passer est une folle. Mais si simples que soient ces choses, elles sont au-dessus ou au-dessous de l’artiste moderne. Une fille de concierge se dit : « J’irai au Conservatoire, je débuterai à la Comédie-Française, et je réciterai les vers de Corneille jusqu’à ce que j’obtienne les droits de ceux qui les ont récités très-longtemps. » Et elle le fait comme elle l’a dit. Elle est très-classiquement monotone et très-classiquement ennuyeuse et ignorante ; mais elle a réussi à ce qui était très-facile, c’est-à-dire à obtenir par sa patience les privilèges de sociétaire. Et l’enfant gâté, le peintre moderne se dit : « Qu’est-ce que l’imagination ? Un danger et une fatigue. Qu’est-ce que la lecture et la contemplation du passé ? Du temps perdu. Je serai classique, non pas comme Bertin (car le classique change de place et de nom), mais comme… Troyon, par exemple. » Et il le fait comme il l’a dit. Il peint, il peint ; et il bouche son âme, et il peint encore, jusqu’à ce qu’il ressemble enfin à l’artiste à la mode,