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anciens ? Dans toutes les existences païennes, vouées à l’appétit, vous ne trouverez pas le suicide de Jean-Jacques, ou même le suicide étrange et merveilleux de Raphaël de Valentin.

Quant à l’habit, la pelure du héros moderne, — bien que le temps soit passé où les rapins s’habillaient en mamamouchis et fumaient dans des canardières, — les ateliers et le monde sont encore pleins de gens qui voudraient poétiser Antony avec un manteau grec ou un vêtement mi-parti.

Et cependant, n’a-t-il pas sa beauté et son charme indigène, cet habit tant victimé ? N’est-il pas l’habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque sur ses épaules noires et maigres le symbole d’un deuil perpétuel ? Remarquez bien que l’habit noir et la redingote ont non seulement leur beauté politique, qui est l’expression de l’égalité universelle, mais encore leur beauté poétique, qui est l’expression de l’âme publique ; — une immense défilade de croque-morts, croque-morts politiques, croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons tous quelque enterrement.

Une livrée uniforme de désolation témoigne de l’égalité ; et quant aux excentriques que les couleurs tranchées et violentes dénonçaient facilement aux yeux, ils

    intolérables ; celui-là parce qu’il ne peut plus rien faire pour la liberté, et cette reine voluptueuse parce qu’elle perd son trône et son amant ; mais aucun ne se détruit pour changer de peau en vue de la métempsycose.