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RÉVÉLATION MAGNÉTIQUE[1]


[Note.]

On a beaucoup parlé dans ces derniers temps d’Edgar Poe. Le fait est qu’il le mérite. Avec un volume de nouvelles, cette réputation a traversé les mers. Il a étonné, surtout étonné, plutôt qu’ému et enthousiasmé. Il en est généralement de même de tous les romanciers qui ne marchent qu’appuyés sur une méthode créée par eux-mêmes, et qui est la conséquence même de leur tempérament. Je ne crois pas qu’il soit possible de trouver un romancier fort qui n’ait pas opéré la création de sa méthode, ou plutôt dont la sensibilité primitive ne soit pas réfléchie et transformée en un art certain. Aussi les romanciers forts sont-ils plus ou moins philosophes. Diderot, Laclos, Hoffmann, Gœthe, Jean-Paul, Maturin, Honoré de Balzac, Edgar Poe. Remarquez que j’en prends de toutes les couleurs et des plus contrastées. Cela est vrai de tous, même de Diderot, le plus hasardeux et le plus aventureux qui s’appliqua, pour ainsi dire, à noter et à régler l’inspiration ; qui accepta d’abord et puis, de parti pris, utilisa sa nature enthousiaste, sanguine et tapageuse. Voyez Sterne, le phénomène est bien autrement évident et aussi bien autrement méritant. Cet homme a fait sa méthode. Tous ces gens, avec une volonté et une bonne foi infatigable, décalquent la nature, la pure nature. — Laquelle ? — La leur. Aussi sont-ils généralement bien plus éton-

  1. La Liberté de Penser, 15 juillet 1848.