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la plus noble ? L’homme sera-t-ii éternellement si limité qu’une de ses facultés ne puisse s’agrandir qu’au détriment des autres ? Si vouloir à tout prix connaître la vérité est un grand crime, ou au moins peut conduire à de grandes fautes, si la niaiserie et l’insouciance sont une vertu et une garantie d’équi- libre, je crois quenous devons être très indulgents pour ces illustres coupables, car, enfants du xviii’ et du XIX® siècle, ce même vice nous est à tous imputable.

Je le dis sans honte, parce que je sens que cela part d’un profond sentiment de pitié et de tendresse, Edgar Poe, ivrogne, pauvre, persécuté, paria, me plaît plus que calme et vertueux, un Gœthe ou un W. Scott. Je dirais volontiers de lui et d’une classe particulière d’hommes, ce que le catéchisme dit de notre Dieu : « Il a beaucoup souffert pour nous. »

On pourrait écrire sur son tombeau : « Vous tous qui avez ardemment cherché à découvrir les lois de votre être, qui avez aspiré à l’infini, et dont les sentiments refoulés ont dû chercher un affreux soulagement dans le vin de la débauche, priez pour lui. Maintenant, son être corporel purifié nage au milieu des êtres dont il entrevoyait l’existence, priez pour lui qui voit et qui sait, il intercédera pour vous. »


DEDICACE DES HISTOIRES EXTRAORDINAIRES (i)

A Madame Maria Ciemm, A Milford, Connecticut, Etats-Unis

Il y a bien longtemps. Madame, que je dési-

[ij Le Pays, 24 juillet i854.