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images funèbres ; loin de moi tous ces ricanements ! Laissez-moi traduire Horace et le savourer à ma guise, Horace, un vrai amateur de flonflons, un brave littératisant, dont la lecture ne fait pas mal aux nerfs, comme font toutes ces discordantes lyres modernes."

Pour finir, je serais curieux de savoir si vous êtes bien sûr que Béranger soit un poète. (Je croyais qu’on n’osait plus parler de cet homme.)

— Si vous êtes bien sûr que les belles funérailles soient une preuve du génie ou de l’honnêteté du défunt. (Moi, je crois le contraire, c’est-à-dire qu’il n’y a guère que les coquins et les sots qui obtiennent de belles funérailles.)

— Si vous êtes bien sûr que Delphine Gay soit un poète.

— Si vous croyez que le langoureux de Musset soit un bon poète.

Je serais aussi curieux de savoir ce que fait le nom du grotesque Viennet à côté du nom de Banville.

— Et, à côté d’Auguste Barbier, Hégésippe Moreau, un ignoble pion, enflammé de sale luxure et de prêtrophobie belge.

Enfin, pourquoi vous orthographiez Lecomte Delille le nom de M. Leconte de Lisle, le confondant ainsi avec le méprisable auteur des Jardins.

Cher Monsieur, si je voulais pleinement soulager la colère que vous avez mise en moi, je vous écrirais cinquante pages au moins, et je vous prouverais que, contrairement à votre thèse, notre pauvre France n’a que fort peu de poètes et qu’elle n’en a pas un seul à opposer à Henri Heine. Mais vous n’aimez pas la vérité, vous n’aimez pas les proportions, vous n’aimez pas la justice, vous n’aimez pas les combinaisons, vous n’aimez pas le rythme, ni le mètre, ni la rime ; tout cela exige qu’on prenne trop de soins pour l’obtenir. Il est si doux de s’endormir sur l’oreiller de l’opinion toute faite !