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mais… qu’à partir du moment où il devient du passé… Et alors je me mets à le regretter, mais à le regretter !… À ce compte-là on ne peut jamais être heureux, n’est-ce pas ?

JUSSIEUX.

Mais si… Des natures comme les nôtres vivent au contraire avec plus d’intensité.

HONORINE.

Oui, mais tout de même… si l’on était comme les animaux dont vous parlez, si l’on ne faisait pas toujours cette fichue comparaison avec le passé, la vie ne serait pas si difficile que ça !… Vous ne pouvez pas savoir, Armand, à quel point vous avez été l’obsession de ma mémoire… la pierre de touche de tous les bonheurs…

JUSSIEUX.

Et vous donc !…

HONORINE.

On dit cela… par politesse.

JUSSIEUX.

Mais non, c’est la vérité… (Il a envie de parler, puis s’arrête.) Je pourrais vous dire, mais à quoi bon ?

HONORINE.

Si… si… je vous en prie… ça ne me sera probablement pas désagréable du tout à entendre.

JUSSIEUX.

Ah ! que de fois, que de fois j’ai eu votre obsession… même après des années et des années… Tenez, jusque dans l’amour, votre image m’a poursuivi très longtemps… je puis bien vous le dire… (La voix se fait de plus en plus sourde, plus lente.)