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HONORINE.

Soit ! C’est grave, en effet ! Nous voilà à un tournant où j’entrevois que tout ce que nous avons eu de bonheur réciproque, d’intimité charmante, va s’arrêter brusquement, et peut-être pour toujours, et ta vieille maman en éprouve, à l’avance, une tristesse infinie… Seulement… seulement, avant de me soumettre à mon juge, laisse-moi deux secondes pour m’habituer à cette idée, que c’est ta petite tête blonde, cette jeune figure de joueuse de tennis pour magazine illustré, qui va être mon tribunal et ma sentence… Si tu savais ce que c’est comique, avec ta frimousse, de t’entendre prononcer ces mots d’avocat correct et compassé. C’est un contraste si extraordinaire, si… terrible… que… que… tu vois j’en ai laissé éteindre ma cigarette !

HENRIETTE.

Ce contraste, à qui en revient la faute ?… Il est à l’image de ma vie. J’ai plus que mon âge… Mais toi, n’es-tu pas restée terriblement plus jeune que le tien ?

HONORINE, (éclatant et se levant.)

Mais non… mais non… sale moutard ! Tu m’exaspères à la fin !… Vous êtes extraordinaires, vous, les jeunes ! Vous croyez tout savoir… Est-ce que tu connais ta mère ?… As-tu pénétré son âme et sa vie ?… Du tout !… Tu la vois conventionnellement… comme une fille voit sa mère… c’est-à-dire avec les yeux des autres… Tu établis ton opinion sur ce que tu entends dire d’elle, sur des potins, sur des remarques superficielles et mondaines. « Elle est comme ci… elle est comme ça… il n’y a rien à faire !… » J’entends les conversations d’ici ! Mais le vrai moi, le moi