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L’histoire du Phalène est presque rigoureusement authentique, et elle n’aurait pu se passer dans un autre temps que le nôtre. Dans trente ans, elle sera peut-être devenue incompréhensible. Alors que je faisais mes études de peinture, j’ai connu, comme bien d’autres, cette jeune Américaine qui peignait des tableaux genre Rose-Croix avec le tempérament d’une femme née bien plutôt pour peindre des rognons ou des bœufs éventrés, miss C… Une nuit, je la rencontrai, non sans quelque stupéfaction, au bal de l’Académie Julian ; elle passait au bras d’un de mes camarades. Deux jours après, je reçus ses confidences. Elle ressemblait étonnamment à mon héroïne. Certes elle n’était pas fiancée à un prince de Thyeste, mais elle était rongée de tuberculose, jeune, belle et, de plus, presque ruinée. Son désespoir s’extériorisa dans cette révolte farouche qui l’avait jetée aux bras presque d’un inconnu. J’écoutai avec scepticisme cette confidence, et même avec d’autant plus de scepticisme qu’elle émanait d’une exaltée et d’une étrangère… Il y a quelque six ans seulement, j’appris sa mort ; je me renseignai ; elle s’était tuée et beaucoup se rappellent cette fin à peu près identique à celle de mon héroïne, accompagnée seulement d’un esthétisme « meilleur marché ». Pendant que ses amis réunis dînaient, elle s’étendit somptueusement dans sa chambre, au milieu d’un éclairage préparé. Un masque de chloroforme adhérait à son visage…

L’héroïne du Phalène lui ressemble beaucoup. Cette pauvre âme, qui croyait entrer dans la mort par une voie triomphale et enchantée, se marquait elle-même pour une mort sans grandeur et sans force, malgré son panthéisme apparent. On a souvent prononcé le nom de Marie