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dire… qu’il est beau, qu’il est le printemps, la jeunesse… que je suis à lui… Une minute, mon Dieu !… Je vais fermer les yeux… Allons, l’aiguille est presque sur vingt… Mon Dieu, voilà ! Ça y est… Il me semble que tout tourne… mon cœur s’arrête. (Elle lui prend brusquement la main et articule avec force.) I love you. Ça y est… maintenant, c’est irrémédiable… (Elle répète.) I love you ! (Elle se rejette en arrière comme si elle venait de déposer une bombe. L’Anglais s’est arrêté, stupéfait, en sursaut. Il lève les yeux et ne dit rien.) Comme il est blanc !… Ça lui a porté un grand coup, évidemment !… Je sens que nous devons être prodigieusement grotesques !

(L’Anglais se lève, très pâle. Il fronce les sourcils, tel quelqu’un qui cherche désespérément à parler, et ne peut pas.)
L’ANGLAIS.

Y… g… (Il cherche encore, puis fait un geste de désespoir.) Vous… ne parlez pas anglais ?

ADRIENNE, (s’excusant des bras.)

Du tout… du tout ! (Second geste de l’Anglais. Silence.) Qu’est-ce qu’il fait ?… Qu’est-ce qu’il va faire ? Quel silence ! (Rapprochant sa main par-dessus la table avec une infinie timidité, elle dit cette fois en français.) Je vous aime !…

L’ANGLAIS, (se retournant, brusque, vers la porte, puis, articulant péniblement, de plus en plus pâle et cherchant dans le vague lexique de sa mémoire.)

Prenez ga… ar… de… prenez ga… ar… de.

ADRIENNE, (se rapprochant.)

Non… Qu’importe !… Écoutez…