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Obsession de sa forme, chose inouïe,
oh ! ce que tu m’as dit tout à l’heure tout bas,
avec ta froide et ton adorable ironie !…
Je devrais te haïr, pourtant que je t’adore !
ma petite chérie, ma petite chérie !…

(Les mains jointes.)


Ce soir comme tu es étrange, un peu pâlie,
un peu plus languide de t’être entremêlée
à de l’amour… Nous sommes seuls. Dis, répète
tout ce que tu disais… Elle s’en est allée
et l’homme aussi… Reprends le tendre tête-à-tête
dans cette chambre où l’on respire enfin à l’aise…
Que nous font tous ces gens, ces passants ! Qu’ils se taisent !
Puisque tu t’es ce soir émanée des coussins,
des odeurs, du parfum dont ce boudoir est plein,
écoute encor mon cœur afin que tu l’apaises.
Ne sois pas ce soir-ci encor venue en vain…
Plains-moi ! Je suis ta chose effondrée ! Tu me plais,
n’est-ce pas ? Grâce à toi, tu le vois, c’est affreux,
je ne peux plus aimer, je ne peux pas aimer !
Console-moi, sois bonne encor, et soyons deux…
Elle parlait… Hélas ! rien ! mon cœur est fermé !
Tu triomphes !… Et c’est à toi que je me plains
cependant, toi qui creuses le vide à deux mains
dans mon âme, et sur qui tout à l’heure la nuit
tombera sans espoir mon front inconsolé !…
Chérie !

(L’Ombre immobile, dressée comme une statue maintenant le regarde, en silence, grave, avec une expression marbre.)


Chérie !Ah ! tu te tais, maintenant, tu me fuis !…
C’est vrai, seule, tu deviens de glace. Ta bonté,
tes élans amoureux ne sont que quand tu sens
ta puissance en danger, dans le bruit, le tumulte !
Mais face à face avec l’horreur de ton néant
le Souvenir reprend son aspect de sépulcre…