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et ce n’était que pour aller trouver ma bouche.
Embrasse-moi, embrasse-moi ! C’est un délice
farouche, accompagné d’un frisson immortel.
Étreins-nous toutes deux, elle et moi, moi en elle…
De nous quelle est la plus vivante, la moins morte ?
c’est moi ! Moi !… car la vie a le goût de la mort
mais ne l’égale point ! Et, c’est moi la plus forte !
Embrasse-moi de tout ton désespoir… encore !
Et bois le souvenir des caresses, le goût
impérissable, écrase-le, écrase-nous,
crie-lui : « Je t’aime, enfin ! Je t’aime, amour vivant ! »
mais ne t’inquiète pas, je suis là, mon enfant !

(Elle les domine comme une flamme.)
(À ce moment, pendant que les deux amants se caressent et n’ont plus que des murmures et des soupirs de paroles, le rideau de la porte d’entrée a bougé. On devine qu’une main vient de le soulever et on a légèrement entendu marcher.)


Quelqu’un ! L’autre ! l’amant ! le voilà ! entends-tu ?
Eh bien ! lève-toi donc ! tu l’as bien entendu ?

(Toujours aux genoux de la femme, il ne bouge pas et lui parle à voix basse.)


Qu’attends-tu ? Ah ! je te devine ! C’est exprès
que tu ne bouges pas. Ton désespoir de vivre
attend vaguement la catastrophe… Vains souhaits !
Puérilité ! L’homme, prêt à la défensive,
est là, derrière, pâle et retenant son souffle,
mais il n’entrera pas. Et sais-tu bien pourquoi ?
Sais-tu pourquoi sa main, bien que son cœur étouffe,
reste immobile ?… eh bien ! c’est parce qu’IL ME VOIT !
La femme seulement me devine. Lui voit.
Il sait que je suis là. Alors, il est tranquille…
Vaine folie, te dis-je ! il est temps, lève-toi.

(D’un geste, l’Ombre a le pouvoir de séparer les deux têtes rapprochées. On entend un nouveau bruit léger dans la galerie. Elle tressaute.)