Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 6, 1922.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ARMAURY.

Là, sur la cheminée… Qu’est-ce que tu disais d’effroyable, mon petit ?

DIANE.

Je disais qu’un soir, en décoiffant ces cheveux qu’on avait voulu me couper, je les ai laissé flotter sur la bougie… je me rappelle, je les balançais comme ça… et je me disais : « Allons-y, Dianette ! » L’horreur même d’être brûlée vive ne m’épouvantait pas. Un petit bout s’est mis à grésiller. D’un mouvement instinctif de la main, je l’ai éteint… mais au fond, ce soir-là, il s’en est fallu de pas grand’chose !…

ARMAURY, (lui prenant la main.)

C’est l’anéantissement de l’amour, ce goût de l’anéantissement auquel il faut savoir résister. Puis, tu n’as pas vingt ans. Il n’y a que les vieux qui ont peur de mourir… La jeunesse fait bon marché de la vie… Ton frère lui-même, qui n’est pas un troublé, répète tout le temps : « Aller se faire casser la tête en Afrique… ». La moindre midinette en mal d’amour allume si facilement un réchaud ! On fait bon marché de la vie parce qu’on n’en connaît pas le prix ; mais, plus tard, tu verras comme on apprécie âprement la valeur de tous les instants. Il semble que toutes les minutes, on vous les vole.

DIANE, (qui se lève.)

Ce n’est pas une question d’âge. Si on a connu à vingt ans ce qu’il y a de plus beau dans l’existence, le reste vaut-il la peine d’être vécu ? (Elle prend la veilleuse.) Si on a brûlé toute l’huile, comme me le disait l’abbé Roux, la veille de notre fuite ?…