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la fille d’un doge. Bientôt tu vas me donner l’Adriatique.

LA PRINCESSE.

Ce que je vais te donner, c’est le bonheur que mérite un grand artiste comme toi, des gens comme nous… Car ce sont des personnes admirables que nous, sais-tu bien !… Nous serons grandioses, fous… À Paris, il n’y a que de petits bourgeois !… On les étonnera : ce sera beau. Soyons des brutes de joie, de luxe et d’art.

BERNIER, (avec précaution.)

Crois-tu que ces personnes-là ne se suffisent pas un peu à elles-mêmes et qu’il soit bien nécessaire de les unir par des liens légitimes ?… Nous sommes des amants ; si nous restions des amants ?… Notre avenir d’époux est hérissé de difficultés…

LA PRINCESSE, (se levant.)

Assez, tu abuses… Il y a des limites… Je suis lasse, à la fin, de cette indécision qui devient insultante. N’insiste plus… je ne continuerai pas à être ta maîtresse, et je ne suis pas femme à avoir un amant… c’est inutile, perds tout espoir de ce côté ! Tu le sais, il ne s’agit point d’un caprice. Je t’aime de chair et d’esprit. J’ai besoin d’être aimée, de me donner toute, enfin, à un amour… Séparons-nous donc une bonne fois, mon cher, mais ne remettons pas éternellement notre union en jeu. J’y suis décidée… C’est extraordinaire, il n’est question que de cette femme ! Je n’entends parler que de sa douleur… On dirait qu’il n’y a qu’elle. Est-ce parce que je suis la dispensatrice des biens de tout le monde, que je ne compte pas, moi ?… C’est