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Quelques secondes après, encouragé, je risquai une seconde blague… Je retrouvai le regard de Rosine, toujours dégagé de toute sympathie, certes, mais plus curieux. Ce jour-là, je jugeai prudent de m’en tenir là… Mais, à la rencontre suivante, je fis, à tout hasard, une charge énorme… je dansai une espèce de chahut au pesage. C’était idiot !… Je me disais, à part moi : « Zut ! je dépasse la mesure ! » Du tout, je ne la dépassai pas… Désormais, dès qu’elle m’apercevait, Rosine me souriait. Je sentais qu’elle se disait : « Tiens, voilà le monsieur qui est si rigolo !… » Alors, mon cher, alors obscurément, honteusement un peu, je fis ce que tout le monde fait plus ou moins en matière d’amour… Ayant senti le seul côté, le seul, tu entends, par lequel je pouvais plaire à cette femme, je l’exploitai… Quel est celui qui ne devine pas le point sensible par où il atteint la sympathie de l’être chéri ? le terrain bon à cultiver ?… Quel est celui qui peut se vanter d’être vraiment soi en amour ?… Suivant l’idée que l’autre se forme de vous, suivant ce qu’il désire que vous lui apportiez dans sa vie, on se diminue, on s’augmente, on fait le beau ou le vilain, selon sa chance. L’affreux désir de plaire à tout prix, par n’importe quel moyen, vous pousse aux pires bassesses, et devenir le pitre désiré, c’est devenir un roi si le regard chéri s’éclaire d’attention et s’adoucit à votre adresse… Oh ! j’ai bien essayé comme tout le monde d’aborder la question sentiment au début !… Brrr !… Cet œil !… cet œil, mon cher, qu’elle me lançait !… Quand on a vu ce spectacle-là, on ne veut pas le revoir deux fois dans une vie !… Et