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chambre… dans la flemme de la rue… au bureau du P.-L.-M. avec les vieux poussiéreux d’autrefois, ce qu’on se sent mou !… La guerre s’estompe… on reprend… tout s’oublie… On voit le monde tel qu’il était avant, pire peut-être… si fort et si grand ! Alors, moi, je suis redevenu petit, petit… On arrivait pour chambarder… gueuler… et puis, on se paie une place au cinéma le samedi soir… Allez… je vous dis, ce qu’un homme peut changer de croquenots dans une vie !… Ah ! misère !…

LEVASSEUR.

Vous voulez dire que la rancune s’atténue, mais les sentiments demeurent. C’est ça, n’est-ce pas ?

PAUL.

Non, je ne vous en veux pas plus qu’avant, je jure. Pourquoi ?… Est-ce qu’il y a quelque chose de changé ? Qu’est-ce que la guerre a à voir dans mon cas ? Vous voyez que je ne suis même pas intéressant… à peine amoché… J’ai fait mon devoir comme tout le monde. Ah ! si j’étais mort… bougre !… c’aurait été une autre musique. Là, dans le portefeuille… j’étais un rude héros, n’est-ce pas ?… Mais, là… avec toute ma peau des pieds à la tête, ce que je dégringole !… Mais si, mais si, ne faites donc pas ce mouvement indigné. Vous êtes un brave homme au fond… Eh bien ! avouez que vous ne trouvez pas en vous l’émotion que vous voudriez. Allons, pas de blague !

LEVASSEUR.

Je ne l’ai pas… cette émotion !… Moi qui vous écoute parler comme en un rêre ! qui entends pour la première fois le timbre de votre voix… Et