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LEVASSEUR, (l’interrompant et lui désignant une chaise.)

Toi, mets-toi là ! J’ai à te parler… (Un grand temps.) Oh ! pour un instant, il s’agira de moi, non de toi ! Tu te trouves en présence d’un homme bouleversé… Je traverse, je crois bien, le moment le plus pénible, le plus cruel de mon existence… D’autant plus cruel que ce que je ressens, ce que je subis, je ne peux en faire confidence à personne. Je n’ai même pas le soulagement, dans cet émoi, d’ouvrir mon cœur à qui que ce soit.

PHILIPPE.

Mais, papa, si ce n’est pas trop osé ou déplacé de ma part, je t’offre de devenir le confident de tes ennuis… Songe que je suis en âge de t’apporter peut-être, sinon une aide, du moins une sollicitude compréhensive…

LEVASSEUR, (avec force.)

Tu es arrivé, en tout cas, à un âge où tu peux envisager les réalités brutales de la vie !… Tu es arrivé à un âge où l’éducation qui a amorti trop souvent les chocs sous tes pas doit être rejetée par nous comme une entrave inutile. Tu as été tardivement un homme, mais te voici en pleine guerre, lancé au milieu du cataclysme le plus inouï dont la violence a fait céder brusquement toutes les conventions sur lesquelles nous avions établi nos existences. Partout les plans habituels de la vie sont transformés. Le langage que je n’aurais pas osé te tenir il y a quelques années devient aujourd’hui naturel, nécessaire !… Écoute moi donc.

PHILIPPE.

Je t’éooute.