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m’embrouille, je mélange, mais c’est parce que je veux que tu saches ce qu’il était… quelle était sa valeur… et qu’il est mort en faisant ce qu’il a fait toute sa vie, simplement, dans son petit coin, sa tâche… Si ç’avait été ton fils aux yeux du monde, eh bien, crois-moi sur parole, tu pourrais en être fier !

LEVASSEUR.

Mon fils !… ce mot… Et, pourtant… Pourtant, Jeanne, cette paternité, je la sentais, même en l’étouffant !… Il y avait un regret dans ma vie, un regret obscur, persistant, auquel je ne me laissais pas aller, par volonté, mais un regret, Jeanne, c’est quelquefois plus douloureux qu’un remords !… Et ce que tu me dis de sa fin multiplie ce regret de ne pas l’avoir connu, apprécié, aimé… Il n’est plus… Voilà !… Je revois cette façon un peu penchée de se tenir, que j’avais dans ma jeunesse…

JEANNE.

Et il ne t’en voulait pas, tu sais !… Il t’était reconnaissant de la rente que tu avais assurée sur nos deux têtes… Il parlait rarement de toi, c’est vrai ! Pourtant, l’année avant la guerre, il t’avait rencontré dans une exposition industrielle au Grand Palais… où tu avais un stand… Il est rentré en disant : « Il m’a reconnu, certainement, à la façon dont je l’ai fixé. Il ne m’a plus quitté des yeux tout en parlant à des messieurs ! Il était pâle… Je sentais chez cet homme une grande émotion… Je suis sûr de ne pas m’être trompé… »

LEVASSEUR.

Il se trompait, pourtant… Il a cru…

JEANNE, (comme avec une déception.)

Ah !… Ce jour-là, il m’a parlé de toi en termes