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GABRIEL.

Je t’écoute… je t’écoute… pour voir jusqu’où tu vas aller !

JEANNE.

L’autre jour, quand je donnais le sein au bébé, tu as eu une façon méprisante de dire : « Comme tu as les veines bleues, ma pauvre fille ! » J’en ai eu le cœur serré ! ça m’a fait mal… et, tiens, encore, quand tu as reniflé en entrant, tout à l’heure, avec un air dégoûté : « Ça pue le nouveau-né !… » Oh ! tout cela est bien compréhensible, mon Dieu ! je suis presque une domestique pour toi… Pourtant, je te dis, je me tiens du mieux que je peux. Tu vois, je n’ai même plus les doigts piqués qui t’agaçaient tant. Maintenant, je mets toujours un dé pour coudre et…

GABRIEL.

Ça suffit, hein ! Tu as vraiment une opinion de moi très flatteuse, je te remercie.

JEANNE.

Quoi de plus naturel ? Tu es humilié d’être lié à moi. Je ne le suis pas de l’être à toi… voilà la différence. Nos deux jeunesses ne sont pas pareilles. Pour toi, c’est de la jeunesse gâchée, pour moi, c’est de la jeunesse admirable ! Pour toi, ce qui passe là, c’est du mauvais temps à oublier plus tard. Pour moi, c’est peut-être bien tout ce que j’aurai eu de bonheur dans la vie. Tu vois que le compte n’est pas le même, mon petit ami. Donne ta main, tu veux bien ?

(Timidement, elle lui embrasse la main.)
GABRIEL.

Tu as les yeux rouges, Jeanne !