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souvenir triste et respectueux… Que supposez-vous d’odieux et d’abominable ?

JESSIE.

Il y a un timbre de voix qui ne trompe pas. La haine crépitait dans vos gorges quand ma présence vous a fait taire… Il est possible que je sois folle… mais alors, vous, Serge, pourquoi n’êtes-vous pas parti comme je vous l’avais ordonné…

SERGE.

J’allais obéir, j’ai pour ainsi dire heurté mon père sur le seuil. Je voulais l’entraîner…

JESSIE.

Ce n’est pas vrai ! J’ai entendu l’aveu que vous venez de faire à votre père… N’étais-je pas assez salie ni assez vile comme cela ? Après tout, c’est juste, je suis celle qui se vend au premier venu !… On n’a pas besoin de se cacher de m’avoir eue. Allez donc !… Mais la bête se révolte tout de même contre ses maîtres… Je vous chasse, entendez-vous. Je vous chasse tous les deux… Je veux être seule, libérée de tous ces hommes, lavée de toutes mes souillures… Max !… Max !… Ils ne savent pas que je ne suis plus qu’à toi !

(Elle s’affale en sanglotant contre le bois du piano.)
CHAVRES.

Vous m’accusez dans votre désespoir… Je vous demande en grâce de justifier ma présence et je me retirerai, Jessie, aussitôt après… comme il le fait (Mouvement de Serge), sans que vous le voyiez, derrière vous, comme on doit le faire, respectueusement, en présence d’une pareille tristesse !

(Il y a entre les deux hommes un colloque éloquent du regard, où le père a le dessus et impose à son fils une volonté de respect et de pudeur qui se traduit chez Serge par un geste résigné, abattu.)