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JESSIE.

Mais c’est impossible !… Le souvenir est partout de notre avril ici… Son rire d’enfant est là, près de la cheminée où le bois éclate avec un bruit gai… Le jardin où son visage se détache sur toutes les branches !… Alors, quand je pense à ces choses, dont il ne fait plus partie, l’amour de lui m’empoigne… me soulève comme le ferait la peur indignée de la mort ! Je voudrais tenir ses mains chaudes dans les miennes… lui crier que la vie va reprendre à deux… Il serait si content de mes paroles, le pauvre ! Je lui dirais comme autrefois : « Le temps de neige est très doux… viens, on va ramasser des châtaignes ! » Je ne peux pas croire !… Oh ! dites, dites que je ne suis pas un assassin tout de même !

(Elle le regarde avec des yeux suppliants et obsédés.)
SERGE.

Vous êtes une femme, une pauvre femme très à plaindre… que je voudrais tenir longtemps sur ma poitrine… Ah ! ma chérie !

(Il s’approche et l’embrasse avec élan.)
JESSIE, (avec un recul de tout son être.)

Oh !… ces lèvres… ces lèvres-là !… Allez-vous-en ! Oh ! ce contact… ce qu’il me rappelle ! Alors, c’est vrai, j’ai été cette misérable-là ?… Pourquoi en m’embrassant m’avez-vous réveillée tout à coup ?… Tenez, je me plaignais, mais je ne voyais pas en vous l’homme qui m’a tenue dans ses bras et à qui toute ma chair a menti… Allez-vous-en ! Je ne suis plus que votre ennemie !

SERGE.

Non ! ce n’est pas possible ! C’est sur ce drame que nous devrions nous séparer ? Alors que mon