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Scène III


JESSIE, GABRIELLE, puis BIANCA

JESSIE.

Est-ce que ça va durer longtemps, Gabrielle, ce silence affreux ?… Maintenant que c’est fini… bien fini… (Elle pleure.) que nous l’avons couché pour l’éternité dans le petit lit où il a voulu aller… et contre lequel je viens d’appuyer encore ma tête en feu… est-ce que tu vas te réveiller, toi ?… Vas-tu sortir de ce mutisme ? C’est insoutenable… Depuis deux jours, pas un mot de reproche, pas un mot de haine !… Nous allons à nouveau nous séparer… Qu’auparavant j’aie senti la brûlure de tes yeux, l’injure de ta bouche ? Enfin, te rends-tu compte ou es-tu inconsciente ? Mais, au lieu de rester là, douce, effondrée, griffe-moi donc !… Déchire-moi la figure avec tes ongles… C’est moi qui l’ai tué… Je suis un assassin… Je l’ai tué… moi seule !… Pauvre petit… qu’est-ce qu’il me demandait ? Pas grand’chose… c’était si simple… rester avec lui… endurer quelques privations. Et moi, comme une brute misérable, comme la plus lâche des créatures, moi, moi, je suis partie sans pitié… pour de l’argent, entends-tu, pour me vendre… pour mieux manger, pour mieux m’habiller ! Qu’est-ce que ça me coûtait de rester ?… Rien !… Et la lettre que je lui ai laissée !… C’est la lettre qui l’a décidé, sûrement… Passerose me l’a dit… Je ne lui ai pas épargné une cruauté… (Elle s’accroche désespérément à la jupe de Gabrielle.) J’ai tué ton petit !… Je l’ai assassiné !… Venge-toi… venge-toi sur moi ou tu n’as pas de sang dans les veines… Tiens, tiens, regarde la sale bête !… Tiens, mets les mains