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un simple cri de désespoir égoïste, j’ai sacrifié tout l’avenir de luxe qui m’attendait, toi, pour qui j’ai accepté la misère, la basse bohème, la dégradation… Me suis-je assez gaspillée, gâchée… Ah ! ces promiscuités avec des grues, ce mépris des hommes pour la pauvreté… ces affronts constants à mon orgueil !… Et ce que je t’en ai voulu, dans le fond de ma rage, quand il a fallu en descendre, moi, moi, à cette prostitution-là… pas celle qui couvre tout de son éclat, et de son triomphe au moins, comme celle qui m’était offerte autrefois, mais l’autre, celle de la misère, de la détresse !… En descendre à ce trafic affreux de la chair qui paye ! Max, tu ne sauras jamais quel a été le cri intérieur de mon orgueil écroulé, de mon dégoût… Et tout cela, tout ce calvaire secret, pour ne pas te perdre ; pour maintenir notre pauvre amour insensé quelques jours encore, tant qu’on pourrait ! Ah ! oui, misérable que tu es, tiens, avec tes insultes éhontées ! Tu as exigé égoïstement que je te donne mon être, ma vie !… Ayant jugé que mon bonheur après tout ne valait pas tes larmes, j’ai cédé… Et, maintenant, c’est fait ! C’est fait… La voilà, ma vie !… Elle est propre ! Paye-toi dessus, comme les autres, sur l’esclave… et ravale tes injures !…

(À ces cris succède le silence, la douleur muette, soulagée. Max regarde Jessie, réfléchit, se bride, tout à coup :)
MAX.

Non, Jessie… pas d’injure, mais une volonté ferme ! Il est temps !… Nous avons vécu d’une vie d’erreur… Nous allons maintenant vivre la vraie vie, celle de deux êtres courageux qui s’aiment et qui ont souffert ensemble… Une vie honnête et pauvre !… Nous allons rentrer à Paris, et je vais prendre un emploi, un métier régu-