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BARNAC, (sans se retourner.)

Marthe, il vaut mieux ne pas aller plus loin, en effet… Dans le mouvement impulsif qui m’a porté à vous appeler, je ne me suis pas bien rendu compte… mais si cela débute ainsi… allez-vous-en, je vous en prie… Plus tard, je vous convoquerai.

MARTHE, (changeant de ton, résolument.)

Oui, je m’en vais, Paul, mais pas avant tout de même que vous ayez entendu à votre tour ce que, moi, j’ai à vous dire !… (Elle avance vers lui presque en glissant, se place derrière son fauteuil et lui parle à voix basse, à l’oreille.) Chéri… chéri, je n’ai jamais cessé un jour de penser à toi, de souffrir de n’être plus tienne… Oh ! va, ce n’est pas pour revenir que je te dis ça à ton oreille !… J’ai cru d’abord que je ne pourrais pas vivre quand tu m’as chassée… Après, j’ai surmonté le désespoir, comme toutes les femmes, quand arrive l’heure de la catastrophe… Il faut bien, n’est-ce pas ?… C’est la vie !… Seulement écoute : si, entre tous les hommes qui s’offraient à moi, j’ai gardé celui-là, ce n’a pas été par affection… Non, je ne voulais pas que tu apprennes que je pouvais éprouver un amour… tu comprends ?… J’ai tout écarté, tout repoussé…

BARNAC.

Ah ! la logique des femmes !… Ainsi, celui que tu aimais, tu l’as trompé abominablement et tu es restée fidèle à celui que tu n’aimais pas !…

MARTHE.

Qui te parle de fidélité ?… À côté de moi, il y avait de temps en temps, et à de certaines heures, un être docile que je pouvais rudoyer, comprends-tu ? qui connaissait le passé, à qui je pouvais parler de toi, un qui m’a regardé pleurer… une