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l’a bercée, — par les insanités débitées à tout bout de champ, sur l’ennemi, — par les bravacheries et les satisfecit que de faute en faute les intéressés se décernaient indéfiniment dans notre pays, par le billet de banque du mensonge mis en circulation, par les traites d’illusions qu’on tirait sur le peuple, en les renouvelant éternellement, — et si elle a résisté à ce traitement-là c’est que la foule a une fière santé et une robuste constitution ! Prétendre que des sentiments de pitié, des élans généreux, des torches hardiment brandies, auraient déprimé le civil plus que ne l’a fait ce monopole de duperie, c’est le plus impudent peut-être de tous les mensonges, si ce n’est pas le plus hypocrite des remords ! La pitié, veilleuse à petite flamme courte et haletante, obscure lumière humiliée, elle est au cœur des mères, des pères, des femmes au chevet des mourants, elle est dans toutes les âmes déchirées… c’est la lampe du sanctuaire… Ah ! ceux-là comme je comprends leurs silences dont ils usent pour répondre en noblesse et en magnanimité à l’exemple que leur ont légué des morts qui furent aussi héroïques que pudiques !… Et puis ils n’avaient pas mission de parler !… Ils sont le peuple de la douleur… Mais ceux qui pensent ouvertement, qu’on écoute quand ils parlent, les esprits indépendants et libres, je ne comprends pas qu’ils aient si facilement pris leur parti du silence et qu’ils s’en soient remis au vague fatalisme du consentement universel. Ont-ils eu peur de troubler la tâche énergique de la patrie ? Ils l’auraient au contraire agrandie et assainie. Ont-ils redouté d’être mal compris, de tomber dans des équivoques ? Plutôt. Ont-ils été préoccupés, par opportunisme, d’équilibrer leur attitude et de se réserver prudemment pour le dénouement ? Ont-ils redouté que la haine et l’hypo-