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tranquille, Dartès… Sans tarot et sans marc de café, je n’ai pas de peine à tirer votre horoscope !… Minute, mes amis. Écoutez bien !… Si un homme comme vous, en proie au doute et se cherchant querelle à lui-même, exprès, pour ne plus avancer, au point où vous en êtes, Dartès, si cet homme venait me consulter, je lui dirais à peu près ça : Ne te frappe pas… Ton cas est clair ! Voilà l’histoire… Tu vas, tu viens, sans t’occuper d’autre chose que de toi-même, et puis, un beau jour, tu émets une petite idée générale grande comme ça… une idée banale, cent fois dite, usée par d’autres bouches que la tienne !… Et voilà que tout à coup elle se met à vivre devant toi, la petite idée… elle absorbe tout ; elle se met à vivre d’une existence personnelle, formidable ! Elle entraîne tout, même toi, qui l’as émise et qui maintenant regimbes et grognes à sa remorque… Oh ! tu as beau résister, tempêter, bernique… Elle te prend par la manche… puis aux entrailles… elle tire… elle tient bon ! Y a pas… faut suivre !… C’est fini ! Tu lui as donné la vie à la petite idée, elle te demande la tienne en échange !… Elle fera de toi, si elle le veut, un martyr !… Les idées vois-tu, c’est plus grand que nous… Tu te plains tu ahanes derrière… tu dis : « Mais ce n’est pas elle ! Sous cette forme, je ne la reconnais pas !… Je n’en veux plus… Comme on me l’a changée, la bougresse ! » Allons donc, mauvais père !… C’était ta fille, ta fille prédestinée… et c’est pour celle-là probablement que tu étais né !… Oh ! tu en as eu d’autres et d’aussi belles, bien sûr, mais ça ne fait rien : c’est celle-là qui doit te remorquer, que tu le veuilles ou non !… Tôt ou tard c’est elle qui sera ta foi, ton triomphe ou ton supplice !… Et si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain… dans dix ans… qu’importe !… Retiens