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la famille, les enfants, tout ce qui sera la France de demain. C’est vers l’avenir et non vers les fantômes que nous devons tous nous bousculer ! On doit lutter contre tout ce qui annihile la nécessité de vivre ! Il n’est que temps ! Et c’est à cette heure de devoir, d’espérance mutuelle, que vous venez, vous, Madame, la femme du soldat tombé, demander à une autre femme de renoncer à son rôle d’épouse, de faillir à sa simple tâche de Française ? Allons donc, ce ne sera pas !…

CÉCILE.

Prenez-en votre parti, les cloches de la ville ne sonneront pas ces noces-là !

DUARD.

Votre intervention est abusive. Madame… Le passé n’existe plus !

CÉCILE.

Vraiment ?… Le passé est plus vivant que jamais ! Voyez-vous, Monsieur Duard, voyez-vous, les forces qui avaient abdiqué, celles qui n’étaient plus rien au milieu du cataclysme, reprennent dans la paix tout leur avantage. Ce sont les forces patientes, les vertus obscures de l’expérience, le sentiment, les vertus fidèles de la race…, l’amour mort. Monsieur Duard, l’amour tué ! Nous regagnons notre rang… C’est mon heure ! Et me revoici !…

DUARD.

Eh bien, soit ! je vous combattrai hardiment… Oui, Ginette n’est plus l’héroïne dont la voix claironnait la bataille, c’est vrai ! Elle se transforme ; mais elle a le droit de devenir une simple bourgeoise, préoccupée aussi de son bonheur… Pourquoi pas ? La vie se reforme. Il ne s’agit pas ici d’amour, du moins pour elle. Mademoiselle Dardel