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tent de ces champs de carnage et projettent leur ombre grandissante sur les cités, — que notre conscience troublée, avide, s’est ressaisie de tout son effort pour embrasser l’étendue qui se déroule à nos regards et qui n’est plus celle du début de la guerre ! C’est tout un déplacement des valeurs, une coalition des idées en marche autour du drame. Pendant que la race donne, le long de la rouge diagonale qui cravache la France, l’exemple du courage le plus inouï, le plus sublime qui ait jamais été atteint, ici notre angoisse interroge tous les tribunaux de la pensée… Justice, Pitié, Charité, Fraternité, les jeunes et vivaces entités qui ont présidé à l’effort de nos pères se pressent, plus impérieuses, plus tragiques et plus courroucées autour de la magnifique et douce image de la Patrie !

Et c’est pendant que nous vivons plongés dans cette méditation frémissante et douloureuse que des esprits, apparemment bien légers et bien superficiels, des panbéotiens ingénus et affiliés, sans le vouloir, peut-être, au troupeau des trafiqueurs de guerre, réclament à cor et à cri un panégyriste de l’hécatombe, le chantre énamouré de la tuerie… La France régénérée par la guerre !… Nous connaissons l’antienne tendancieuse !… Non, il n’y aura pas l’Homère des tranchées… Ce seront d’autres poètes qui parleront et qui diront la Vérité, la grande Vérité, et proféreront d’autres paroles que de simples et vaines paroles de gloire. Il n’est pas un homme digne de ce nom, il n’est pas même un chrétien digne de l’être qui ne doive exécrer la guerre. Il n’y a plus de guerre sainte ! C’est l’esprit du mal qui, à l’arrière, à l’abri, la prône, la vante, la couve, s’en sert comme d’un bouclier une arme de protection politique, un mot de passe fulminant qui permettra à la troupe sans