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pérance. Déjà le départ de la nation, aux jours de la mobilisation nous avait tout enorgueillis, — et le frisson de la mort qui venait de passer nous rendait plus radieux encore le reflux de la France. Quelle perspective s’étendait devant nous déjà à la portée du rêve ! C’est à ce moment, au plein de l’angoisse, que loin des choses saccagées, au hasard même des tables d’auberge ou de campagne, je couvris les pages qui composent la première partie de la Divine Tragédie… On écrivait tout ce qui vous passait par le cœur comme pour se venger de son impuissance !…

Ensuite deux années passèrent. Quelles années ! Depuis cette inauguration tragique du drame européen, depuis ces premières heures où seule, l’obsédante idée : la défense du sol et de la race, accaparait toute notre ardeur, quel chemin parcouru ! Tant de spectacles se sont offerts à notre esprit, tant de méditations nous ont sollicités, tant de points de vue se sont découverts à nos regards lentement, tant de choses nous ont apparu à travers la déchirure progressive du voile, que nous avons peine à reconnaître l’homme que nous fûmes à ce moment-là !… Actuellement le danger subsiste malgré le goût de victoire qui se communique à tout, mais le danger s’est déplacé, amplifié, il revêt des formes multiples !… Nous avons éprouvé des déconvenues si diverses, nous avons assisté à une si totale faillite de l’intelligence, de l’observation, de l’organisation, nous avons frémi en face de telles hécatombes, imprudemment occasionnées, notre poing s’est crispé avec indignation devant tellement d’agiotages de la pensée, de spéculations politiques, tant de haine, de bêtise fratricide, ont mêlé leurs fumées dans le but d’obscurcir le ciel, tant et tant de problèmes ont été agités, tant de formes obscures s’ébauchent, mon-