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Dieu ! je touche la lettre qui a reçu son dernier souffle !… Mon Dieu !…

(Elles sont presque à genoux toutes les deux comme si une présence de l’au-delà se matérialisait.)
GINETTE, (presque dans un souffle.)

Lisez ! Lisez !… Recevons sa pensée.

CÉCILE, (avec un respect tremblant, éperdu.)

« Dans mon agonie, cinq heures du soir ! À vingt mètres des lignes allemandes. Je suis tombé. Mon ventre est broyé, j’ai pu me traîner sous un éboulement… Je vais mourir dans ce champ. (Elle s’arrête. On entend leurs sanglots. Puis, peu à peu, elle recommence et déchiffre lentement, mot par mot.) Je ne regrette pas d’avoir accepté la mission qu’on m’a donnée tout à l’heure. Devant la mort, devant l’inconnu qui va peut-être me juger, dans un instant, je ne mentirai pas… Je n’ai rien à me reprocher. J’ai aimé profondément ma femme et mon enfant. (Sanglots.) Que celle qui m’a montré le chemin du devoir ne se fasse aucun reproche !… » (Elle s’interrompt, regarde Ginette et dit :) C’est vous. (Puis elle reprend :) « Je la remercie pour son âme pure et haute qui a été mon soutien. Si jamais ce mot testamentaire crayonné dans l’agonie heureuse lui parvient, qu’elle sache que je lui confie mon souvenir, que je lui donne ma pensée. Elle seule peut la comprendre et la continuer. (La voix de la lectrice se modifie, et devient brûlante et âpre.) Elle seule pourra dire quand les autres pleureront : « Je suis contente de lui. » (Cécile relève le front et de la main essuie sur ses joues le sillon des larmes.) Moi, je meurs heureux… Oui, par delà la vie ! par delà les âmes ! Pour la plus noble des causes ! Je vais mourir avec devant les yeux