Page:Bataille - Théâtre complet, Tome 1, 1922.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la Baume dans le midi et celle de l’Huelgoat dans le Finistère. Comme celle-ci possédait un gouffre et des rochers légendaires, j’optai pour elle. J’étais alors féru de primitivités, le simple, le pur, l’âme intacte, la robuste naïveté élémentale ; en peinture l’amour des grandes lignes décoratives, en littérature la haine du complexe et des amplifications verbales, en tout art la passion de la nature véridique, telles étaient à cette époque mes références. Et les vers que j’écrivais ne démentaient pas cette ingénieuse sincérité. Vivant replié sur moi-même, comme il advient quelquefois à vingt ans, je parcourais les solitudes du Huelgoat, persuadé que j’en retirerais un enseignement et une inspiration. Quel ne fut pas mon étonnement de rencontrer en plein bois une sorte d’ascète ou de satyre à la barbe fluviale et roussie, chaussé de sabots, qui déjà hantait ces lieux sauvages et qu’un semblable amour de la solitude avait attiré là. C’était un élève et un émule de Gauguin, le peintre Séruzier, de l’école des synthétistes. La même nostalgie, les mêmes préoccupations nous avaient attirés là, l’ancien écolier, le jeune ermite. Nous n’étions pas d’accord sur tous les points ; je répugnai à tout sectarisme de doctrine, je n’ouvrai sur les bois et les landes du Rusckek que des espaces à ma jeune sensibilité.