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Le naufragé. Eh parbleu ! je vous rendrai votre hache et votre scie, et vous ferai cadeau de 5 de mes planches, en reconnaissance de votre peine.

robinson. Alors, je garde ma scie et ma hache. Je ne t’oblige point. Je suis libre.

Le naufragé. Mais vous ne croyez donc point en Dieu ! Vous êtes un exploiteur de l’humanité, un malthusien, un juif !

robinson. « La religion, mon frère, nous enseigne que l’homme a une noble destination, qui n’est point circonscrite dans l’étroit domaine de la production industrielle. Quelle est cette fin ? Ce n’est pas en ce moment le lieu de soulever cette question. Mais, quelle qu’elle soit, ce que je puis te dire, c’est que nous ne pouvons l’atteindre, si, courbés sous le joug d’un travail inexorable et incessant, il ne nous reste aucun loisir pour développer nos organes, nos affections, notre intelligence, notre sens du beau, ce qu’il y a de plus pur et de plus élevé dans notre nature… Quelle est donc la puissance qui nous donnera ce loisir bienfaisant, image et avant-goût de l’éternelle félicité ? C’est le capital. » J’ai travaillé jadis ; j’ai épargné, précisément en vue de te prêter : tu feras un jour comme moi.

Le naufragé. Hypocrite !

robinson. Tu m’injuries : adieu ! Tu n’as qu’à couper les arbres avec tes dents, et scier tes planches avec tes ongles.

Le naufragé. Je cède à la force. Mais, du moins, faites-moi l’aumône de quelques médicaments pour ma pauvre fille qui est malade. Cela ne vous coûtera aucune peine : j’irai les cueillir moi-même dans votre propriété.

robinson. Halle-là ! ma propriété est sacrée. Je te défends d’y mettre le pied ; sinon tu auras affaire avec ma carabine. Cependant, je suis bon homme ; je te permets de venir cueillir tes herbes ; mais tu m’amèneras ton autre fille, qui me paraît jolie…

Le naufragé. Infâme I tu oses tenir à un père un pareil langage !

robinson. Est-ce un service que je vous rends à tous, à