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Un grand historien, guidé par l’instinct du génie, devinait et expliquait ce curieux phénomène, lorsqu’il disait que les pauvres et les paysans de la Bretagne avaient tenu fidèlement à leur vieille langue nationale, et l’avaient conservée à travers les siècles, avec la ténacité de mémoire et de volonté qui est propre aux hommes de la race celtique[1].

À cette ténacité bretonne, comme première raison de persistance de la langue de Taliesin, au dix-neuvième siècle, on en peut ajouter une autre tirée de l’histoire même de cette langue. Le mépris qu’ont affecté pour elle les savants étrangers et même bretons de presque tous les siècles ; son état d’isolement, l’oubli profond dont elle a été enveloppée, sont autant de barrières qui l’ont préservée des atteintes des novateurs ; n’ayant pas été cultivée, et n’ayant eu, depuis le sixième siècle au moins, ni orateurs, ni philosophes, ni poëtes que puissent avouer la science ou l’art, ni, en un mot, de littérature qui mérite ce nom, elle est restée invariable, et, pour ainsi dire, à l’état brut, dans la bouche du peuple et des chanteurs populaires. Ce n’est pourtant pas à dire qu’elle n’ait éprouvé absolument aucune altération ; quelques-uns de nos chants prouveraient le contraire. Les plus anciens, précisément ceux que les événements dont ils parlent, leur forme ternaire ou allitérée, font reporter au delà du dixième siècle, offrent çà et là certaines formes grammaticales, certains mots, que les Bretons du pays de Galles ont conservés, et qui sont, ou bien hors d’usage aujourd’hui parmi nous, ou pris dans une acception différente : ils contiennent surtout des idées, et parfois des strophes entières, que le peuple ne comprend plus, qu’il dénature étrangement, et dont nous n’avons pu nous-mêmes retrou-


  1. Aug. Thierry, Hist, de la conquête d’Angleterre, t. III, p. 89.