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peau de leur visage était comme une écorce ; leurs habits tombaient en lambeaux ; leurs chevaux étaient morts, leur fortune perdue ; ils étaient blessés tous, mais plus blessés par devant que par derrière communément. Les Français, au contraire, étaient bien peignés ; ils avaient la peau douce et fine, et la barbe taillée en fourche ; ils ne savaient pas de rivaux pour danser en salles jonchées ; ils chantaient comme des sirènes ; ils étaient couverts de perles et de broderies ; ils étaient mignons et pimpants, et les Bretons lourds et sots : à l’avis de ceux-ci, cela n’importait guère. Mais quand vint le jour décisif, les Bretons, ayant tenu conseil, commencèrent à aiguiser leurs épées ; chacun cherchait et fer et bois, harnais, dague, cotte d’acier, hache, maillet ou gros bâtons à tête ; chacun vendait son bœuf et sa vache pour acheter coursier ou cheval (ils craignaient tant les nouveaux maîtres ! ) : c’est qu’ils voulaient défendre leur liberté jusqu’à la mort ! Car la liberté est une chose délectable, elle est belle, elle est bonne, elle est profitable ! Ils avaient horreur de la servitude, quand ils voyaient comment elle régnait en France.... Ils aimaient mieux mourir en guerre que de se mettre eux et leur pays en servitude, avec leur race[1] ».

Le duc Jean, rappelé d’Angleterre par ses barons, chevaliers, écuyers, bourgeois, bonnes villes et gens de commun état, s’embarqua pour venir se mettre à la tête du parti national. Son retour excita un enthousiasme tel, qu’on vit paysans, bourgeois et nobles se jeter ensemble à la mer pour aller au-devant du navire qui le portait, et le vicomte de Rohan, autrefois l’ennemi le plus acharné

  1. Trop doubtoient avoir nouveaulx maistres !
    Et si pensoient deffendre fort
    Leur liberté jusqu’à la mort ;
    Car liberté est délectable,
    Belle et bonne, et bien proufitable.
    De servitude avoient horreur,
    Quant ils veoient tretout entour
    Comment en France elle regnoit :
    Foulx estoit qui paour n’en avoit...
    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    Et mieux amoient mourir en guerre.
    Que de mettre eulx et leur terre
    En servitude, avec leurs hoirs.

    (Chronique du bon roy Jehan, éd. de M. Charrière, p. 314 et passim.)